Photo par Yousuf Karsh

Photo par Yousuf Karsh

LA TRÈS HONORABLE JEANNE SAUVÉ,
C.P., C.C., C.M.M., C.D., D.H.L., D. SC., LL.D., D.U.*

Jeanne Sauvé a eu une vie jalonnée de «premières». Elle a été la première députée du Québec à devenir membre du Cabinet, la première femme à être élue Président de la Chambre des communes du Canada et la première femme à servir comme gouverneur général. En troquant sa carrière de journaliste de radio et de télévision pour un rôle politique très en vue, elle a certes eu son lot de défis et de controverses.
Mais cette femme de « premières » a vécu tout cela sans jamais se départir de l’élégance et du raffinement qui la caractérisaient.
— Jeanne Sauvé, a Woman of Firsts (CBC)

La très honorable Jeanne Sauvé était une femme de volonté et de vision. Grande intellectuelle et communicatrice de talent, farouchement attachée à son pays, à ses idéaux et à la vie publique, elle possédait par ailleurs une chaleur, une élégance et un sens de l’humour irrépressible qui tempéraient avec grâce l’image qu’elle projetait. Tout au long de sa distinguée carrière, elle a défendu les questions les plus socialement avancées de son époque. Nationaliste convaincue, elle a toujours maintenu que l’intégrité du Canada était le produit de deux cultures prédominantes – le français et l’anglais – et elle n’a jamais cessé de promouvoir la cause de l’unité nationale. Cette « femme de premières » qui a occupé de nombreux rôles traditionnellement dévolus aux hommes estimait qu’elle contribuerait le plus à l’avancement des femmes dans la société en s’acquittant de ses fonctions d’une façon aussi compétente et professionnelle que possible et en prouvant par l’exemple leur capacité innée à participer pleinement et activement aux affaires de la nation et du monde.

Jeunesse
Marie Jeanne Mathilde Benoit est née en 1922 dans le village de Prud’homme, en Saskatchewan, au Canada, mais c’est à Ottawa, en Ontario, qu’elle a fait ses études primaires et secondaires avec les Sœurs de la Charité, une congrégation catholique dont l’enseignement religieux lui a inculqué la grande foi spirituelle qui l’a guidée sa vie durant.
Travail avec les jeunes
Une fois son diplôme en poche, Jeanne déménage à Montréal pour travailler avec Jeunesse étudiante catholique (JEC), une organisation internationale pour la jeunesse catholique dont la vocation première était d’aider les jeunes à surmonter le stress causé par la Première Guerre mondiale et la Dépression. Le mouvement JEC, qui a été à l’origine d’une vague de profonds bouleversements sociaux au Québec, a joué un rôle déterminant pour susciter une prise de conscience politique et religieuse au sein de la jeunesse.
La période Européenne
Pendant qu’elle œuvre auprès de JEC, Jeanne Benoit fait la connaissance de Maurice Sauvé, un autre jeune activiste politique. Ils se marient et déménagent à Londres, en Angleterre, en 1948 pour travailler et étudier. Plus tard, ils s’installent à Paris où Jeanne Sauvé est assistante du directeur du Secrétariat à la jeunesse de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et obtient un diplôme en civilisation française de l’Université de Paris. C’est à cette époque que les Sauvé adhèrent à l’Assemblée mondiale de la jeunesse (AMJ), un nouveau mouvement créé pour promouvoir le leadership politique et améliorer les relations internationales entre les leaders de la jeunesse pendant l’après-guerre. L’AMJ, dont Maurice était le président et Jeanne la secrétaire générale, a servi d’incubateur aux nombreux dirigeants politiques internationaux que Jeanne Sauvé devait rencontrer plus tard dans le cadre de ses fonctions officielles, et elle a été une source d’inspiration pour la Fondation qu’elle allait laisser en héritage bien des années plus tard.
Sa carrière au Canada
Le couple rentre au Canada en 1952. Au cours des 20 années qui ont suivi, Jeanne Sauvé se taille une réputation de journaliste politique et d’analyste des affaires publiques de talent à la radio française et anglaise, à la télévision naissante et dans la presse écrite. Elle crée, écrit et anime, entre autres l’émission de télévision « Opinions », une tribune d’une demi-heure très suivie pendant laquelle des jeunes discutaient de sujets courants ou controversés du moment. L’émission, qui avait la cote auprès des jeunes comme des adultes, a rendu Madame Sauvé célèbre auprès du Canada français et anglais.

Quand son fils unique Jean-François naît en 1959, Jeanne Sauvé se donne en priorité à son rôle de mère, tout en continuant de cultiver son intellect et son savoir-faire.

En 1964, Jeanne Sauvé devient la première femme à être élue présidente de l’Institut canadien des affaires publiques, un cercle de réflexion canadien-français qui tenait des conférences annuelles sur de grandes questions nationales. Deux ans plus tard, elle est nommée secrétaire générale (et deviendra plus tard vice-présidente) de la Fédération des auteurs et des artistes du Canada, un syndicat d’auteurs et d’artistes francophones mis sur pied pour voir aux intérêts de ses membres. Pendant cette période, Madame Sauvé siège au conseil d’administration de trois sociétés de diffusion privées, ce qui lui permet aussi d’acquérir une perspective et une expérience de gestionnaire associée à la formulation de politiques en matière de communications.

Les années politiques
En 1972, Madame Sauvé brigue un siège à la Chambre des communes sous la bannière du Parti libéral du Canada; elle est élue et aussitôt nommée ministre d’État en charge des Sciences et de la Technologie, devenant ainsi la première Québécoise à détenir un poste ministériel.

Réélue en 1974, Madame Sauvé est nommée ministre de l’Environnement et s’occupe surtout de la pollution de la voie maritime du Saint-Laurent, des risques posés par les BCP et de la menace liée à la croissance de la population mondiale. Par la suite, elle se voit confier également la responsabilité des relations étrangères avec les pays de langue française. En 1975, elle se retrouve en terrain connu en tant que ministre des Communications chargée de la politique de diffusion.

Pendant ce mandat, la population du Québec a élu un gouvernement provincial séparatiste qui s’est engagé à tenir un référendum dans la province afin de déterminer si ce territoire essentiellement francophone allait se séparer du Canada. Madame Sauvé a milité avec détermination afin de convaincre ses concitoyens québécois de voter pour que la province continue à faire partie du Canada.

Lors des élections générales de 1979, Jeanne Sauvé est réélue malgré la défaite du Parti libéral. En 1980, le gouvernement conservateur minoritaire est battu et les Libéraux reviennent au pouvoir; Madame Sauvé se voit alors confier le rôle de Président de la Chambre des communes. Elle était non seulement la première femme mais aussi la première personne sans formation en droit à occuper ce poste.

Président de la Chambre des communes
Madame Sauvé accepte de présider, en tant que première Canadienne à qui ce rôle est dévolu, la Chambre des communes et son administration, et d’en relever tous les défis que cela comporte. Les sessions parlementaires tenues sous son égide ont été parmi les plus mouvementées de l’histoire du Canada; c’est toutefois la réforme de l’administration de la Chambre des communes qui aura été la plus ardue et s’est avérée un de ses héritages les plus durables. Elle est tout aussi fière d’avoir créé sur la Colline du Parlement la toute première garderie du gouvernement fédéral.
Gouverneur Général of Canada
Jeanne Sauvé marque de nouveau l’histoire en devenant, en 1984, la première femme à occuper le poste de gouverneur général du Canada, qui est le représentant du chef d’État du Canada et le commandant en chef des Forces canadiennes. Elle est le 23e gouverneur général et la sixième personne de nationalité canadienne à assumer des fonctions vice-royales.

Elle fait de l’unité nationale, la paix et la jeunesse les trois thèmes centraux de son mandat, et elle défend inlassablement ces questions pendant toute la durée de son poste vice-royal.

Le gouverneur général est le représentant de la Reine au Canada et il est à la tête du gouvernement du Canada. Ses fonctions comprennent des responsabilités constitutionnelles et cérémoniales qui consistent notamment à servir comme conseiller et confident du premier ministre et à intervenir, rarement quoique d’une façon décisive, en période de crise politique ou constitutionnelle afin d’assurer le maintien de l’autorité et la bonne gouvernance au Canada.

Durant son mandat, Madame Sauvé a beaucoup voyagé au Canada et s’est entretenue avec la population; elle a soutenu de nombreuses organisations non gouvernementales nationales, effectué des visites d’État dans d’autres pays, reçu des milliers de Canadiens lors de réceptions organisées à Rideau Hall, sa résidence officielle, et rendu hommage, à l’occasion de centaines de discours et d’événements, à tout ce qui est fondamentalement méritoire et noble partout au Canada.

En 1986, Madame Sauvé accepte, au nom du « peuple canadien », la médaille Nansen, récompense internationale prestigieuse pour les oeuvres humanitaires qui est décernée en reconnaissance d’efforts importants et soutenus déployés au nom de réfugiés. C’était la première fois depuis la création de la médaille en 1954 que le haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés la remettait à une population toute entière. La médaille Nansen est conservée à Rideau Hall.

Au terme de son mandat, Madame Sauvé, qui n’avait pas oublié les expériences positives de sa jeunesse avec JEC et l’AMJ, a choisi de laisser en héritage une Fondation qui offrirait des possibilités de leadership similaires à de jeunes adultes et permettrait de bâtir un réseau d’associations nationales et internationales pour les générations à venir.

Madame Sauvé a quitté ses fonctions de gouverneur général en 1990, après quoi elle s’est établie avec son époux à Montréal, au Québec, pour s’occuper de la Fondation Jeanne Sauvé. Celle qui fut une des femmes les plus accomplies et les plus respectées de l’histoire politique du Canada s’est éteinte le 26 janvier 1993.

Par Liane Benoit

Renseignements :

* C.P. – Conseil privé de la Reine pour le Canada, C.C – Ordre du Canada, C.M.M – Ordre du mérite militaire, C.D – Décoration des Forces Canadiennes, D.H.L – Doctorat Ès Lettres, D.SC – Doctorat en sciences, LL.D – Doctorat en droit, D.U – Diplôme Universitaire